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Les Argentins sont des Italiens qui parlent Espagnol et se prennent pour des Français" (Octavio Paz)
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Les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens descendent des Incas et les Argentins descendent... du bateau" (proverbe amusant à la paternité contestée, assez vrai pour l'origine de beaucoup d'Argentins, mais qui ne tient pas compte des trop peu nombreux Mapuches, Guaranis, Tobas, Tehuelches, Wichis, Kollas, Comechingones,...)
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USHUAIA (TERRE DE FEU) - Du 4 au 15 décembre
La ciudad más austral del mundo. Enfin presque, parce que Puerto Williams (au Chili) est légèrement plus au sud, mais c’est plus un village qu’une ville. Bon, on va pas chipoter, on va dire qu’on est au bout du monde ; et puis aussi Eva Joly avait qu’à réaliser une émission qui s’appelle « Puerto Williams », et peut-être qu’on n’en serait pas là…
Bien évidemment, le titre de ville du bout du monde a un impact touristique et économique d’importance. Mais nous sommes tout de même à 150 km du Cap Horn, et 1000 de l'Antarctique.
La Patagonie est la dernière région du monde où l’homo sapiens s’est installé (-14000 ans).
La Terre de Feu étant au bout de
la Patagonie, c’est donc le dernier endroit où l’homme est arrivé dans sa migration depuis l’Afrique (-10000 ans av. JC). Les Alakalufes et les Yagans (aussi appelés Yamanas) sont les principaux Amérindiens à peupler ce territoire.
La Tierra del Fuego (Terre de Feu) a ainsi été nommée en raison des nombreuses fumées que les premiers explorateurs observèrent. L’explication la plus plausible est liée au fait que les Yamanas vivaient nus (c’est semble-t-il le meilleur moyen qu’ils aient trouvé pour sécher plus rapidement dans ce climat humide) mais s’enduisaient le corps d’huile de mammifère marin. Et bien sûr, ils entretenaient constamment des feux pour se réchauffer, y compris sur les canoës.
Un passionnant petit musée rassemble beaucoup d’éléments sur la vie de ces chasseurs-cueilleurs et permet de voir des photos et films amassés lors d’expéditions scientifiques.
Mais c’est un peu toujours le même cycle inéluctable : le gouvernement argentin a généreusement octroyé des terres aux riches propriétaires pour y installer leurs estancias afin de coloniser des territoires inoccupés avant les chiliens ; les propriétaires en question ont fait faire par l’état ou fait eux-mêmes le nettoyage des populations indigènes, écrivant ainsi de sinistres pages de l’histoire sud-américaine, surtout dans la deuxième moitié du 19
e mais aussi au 20
e siècle. Tout cela sans compter les milliers d’Amérindiens décimés par les maladies apportées par les Européens.
Le canal où baigne la baie d’Ushuaia porte le nom du bateau de la fameuse expédition à laquelle participait Charles Darwin (tiens, encore lui) dans les années 1830. Nous allons en excursion sur un petit bateau voir de plus près cormorans et lions de mer, dont nous verrons mieux qu’aux Galapagos la crinière des mâles à l’origine de leur nom. Sur certaines îles, comme sur la côte, nous imaginons avec émotion les Yamanas installant leurs campements nomades dans des creux, entourés de monticules formés au fil des siècles par les coquillages vidés, base de leur nourriture, ou également restes de mammifères ou oiseaux marins.
Résultat de conflits militaires et d’âpres négociations, le découpage des frontières entre Chili et Argentine partage le canal en deux au niveau d’Ushuaia ; les montagnes en face sont donc chiliennes. Passez un peu de temps sur une carte pour apprécier la bêtise des frontières en Terre de Feu !
La ville n’a pas en elle-même énormément de charme, même si les rues en pente orientées vers le canal font penser à celles de San Francisco. Ce qui impressionne surtout, c’est la ceinture formée par les montagnes juste au-dessus. La plupart des monts restent enneigés et au petit matin il est fréquent d’apercevoir les pentes en partie recouvertes, avant que cette neige fraiche ne fonde dans la journée. Avec la baie, la vue est superbe, qu’on se trouve sur le canal ou d’un point de vue en hauteur. Quand en plus on y ajoute la lumière particulière de fin de journée, on ne regrette vraiment pas le déplacement !
Tout ici nous rappelle que, malgré l’éloignement, Ushuaia reste la porte de l’Antarctique. Avant la construction du canal de Panama, le détroit de Magellan et le canal de Beagle étaient des routes de commerce importantes. Aujourd’hui, les bateaux de croisières ou d’expéditions plus ou moins scientifiques accostent près des porte-containers ou gaziers dans le port (port en eaux profondes). Les librairies sont largement fournies en recueils à la gloire des explorateurs polaires. Pensez à lire ou relire les aventures d’Ernest Shackleton et de ses hommes, les fameux rescapés de l’Endurance : malgré leur tentative de traverser le continent polaire en passant par le pôle qui échoue, puisque le bateau a été broyé par les glaces, leur aventure s’est transformée en triomphe, tous les hommes ayant survécu luttant contre le froid et la faim durant de longs mois. Le Norvégien Roald Amundsen est aussi célébré en héros en ayant atteint le premier le pôle (il y a tout juste un siècle) ; petit farceur, il avait laissé une lettre à l’attention du roi de Norvège et une pour son concurrent à la course au pôle, Scott, qui a très mal pris, en arrivant sur les lieux quelques semaines plus tard, le fait de passer d’explorateur à facteur (celui-ci a d’ailleurs été retrouvé mort dans sa tente lors du retour de son expédition).
PARQUE NACIONAL LOS GLACIARES (El Chalten et El Calafate) – Du 22 novembre au 4 décembre
El Calafate est une baie. Une baie sur les rives du grand Lago Argentino, mais aussi une baie délicieuse que nous avons appréciée en glaces. Il faut dire qu’on s’y connaît ici, en glaces… et surtout en glaciers, puisqu’on compte une quinzaine de glaciers à proximité. Et c’est très étonnant. Nous sommes en effet à très basse altitude (2 à 300 mètres). Si la température est parfois négative l’hiver, elle est en moyenne de 10 degrés sur l’année, avec des pointes à plus de 20 l’été. Même la neige, sur le bas des glaciers, ne tombe que de 1 à 3 mètres par an. Non, non, ne cherchez pas non plus du côté de la latitude, nous sommes encore très loin de l’Antarctique ; El Calafate est approximativement à la même distance de l’équateur que Lille...
Le mystère de ces glaciers tient dans le fait que des vents constants proviennent du Pacifique (donc de l’ouest), buttent et s’élèvent sur la cordillère, et provoquent des précipitations intenses (300 jours de neige par an) environ
15 kilomètres en amont des lacs Argentino et Viedma. Cette neige se compacte et glisse pour former ces glaciers. Parmi eux, plusieurs perdent au fil des années du volume, mais le plus spectaculaire, le Perito Moreno, stagne, voire progresse. Son observation est très facile, du rivage quelques dizaines de mètres face au glacier. Parfois, de petits blocs se détachent des parois, dans un fracas retentissant. On n’ose imaginer le bruit quand des pans entiers tombent dans le lac. Mais nous souhaitions nous approcher encore plus près du cœur du glacier.
C’est donc chaussés de crampons que nous entamons une randonnée très atypique, longeant séracs et crevasses. En fin de randonnée, verre de whisky avec glace du glacier (pour les adultes) et alfajores.
Pour fêter cet exploit, magnifiques grillades de viandes dans un bon restau (la Tablita) de El Calafate !
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NORD DE
LA PATAGONIE, COTE ATLANTIQUE – Du 11 au 21 novembre
Ne nous le cachons pas :
la Patagonie, par ses immenses distances et ses paysages de pampa sans fin, peut paraître morne et d’un ennui terrible. On peut traverser une région allant de Paris à Toulouse, avec un paysage unique de type steppe, et une seule station service au risque important de rupture. Il faut dire que
la Patagonie, c'est toute la zone qui s'étend à partir du 39
e parallèle jusqu'en Terre de Feu. Ici, nous ne voyons pas de cultures, mais des estancias de plusieurs milliers d'hectares où des millions de moutons attendent que leur laine parte en grande partie à l'exportation.
Bien sûr, les populations amérindiennes (parmi lesquelles les plus connues sont les Mapuches et les Tehuelches - ou Aonikenk dans la région des glaciers -) ont depuis longtemps été décimées. Les programmes de sédentarisation (voire d’extermination) depuis 1870, ainsi que les répressions suite aux grandes grèves des années 1920-1921, préfigurent tristement les agissements des régimes militaires du XXe siècle qu’a connus l’Argentine.
Mais la côte patagonienne offre des pépites, parmi lesquelles la péninsule de Valdès. Très peu peuplée, on y accède en provenance de Puerto Madryn en traversant un isthme, duquel on aperçoit les deux golfes.
Après avoir récupéré le deuxième lot de grands-parents, qui ont expérimenté les grèves d’aéroport et le bus sur près de
2000 km, nous gagnons donc la réserve naturelle. On y rencontre de très nombreux guanacos, plus hauts sur pattes que les lamas, presque aussi sveltes que les vigognes; ces animaux ont une capacité d'adaptation étonnante, puisqu'on en retrouve jusqu'à 4500m d'altitude. Nous verrons aussi évoluer des tatous, tout droit sortis de la préhistoire.
Sur la côte est, une fine langue de plus de
30 km permet à quelques manchots de Magellan, des lions de mer et aussi la principale colonie d’Amérique du Sud d’éléphants de mer de se reproduire au bord du chenal.
A la pointe nord, s’ébattent une poignée de lions de mer. A priori, plutôt banal, sauf que de temps à autres, des escadrons d’orques se précipitent sur la plage pour bouloter les plus insouciants d’entre eux. Ce phénomène, fruit de l'activité humaine du début du XXe siècle avec les massacres de mammifères marins, est quasi unique au monde (se retrouve aux îles Crozet dans l'Océan indien). Nous n’aurons pas la chance de voir les épaulards se jeter ainsi, car même à marée haute les vagues étaient insuffisantes, mais nous apercevrons tout de même un trio passer à quelques mètres du bord et un bouillonnement nous indique qu’ils ont certainement fait un bon repas d’un lion de mer parti chercher du poisson.
Mais la péninsule est surtout réputée pour ses deux golfes qui accueillent 6 mois par an des centaines de baleines, ici pour se reproduire et élever leurs petits. On estime qu’il y en a ainsi plus de 800 chaque année. Du bord des falaises, il est très facile d’en observer certaines, tapant avec leur queue à la surface de l’eau, lançant de grands jets d’eau par leurs évents, ou pour les plus joueuses, sortant de l’eau à la verticale et retombant lourdement dans l’eau. Une sortie organisée en bateau nous permet de les laisser s’approcher et de les observer à quelques mètres de nous : 12 à 14 tonnes si proches imposent le respect !
La plus grosse colonie de pingouins (ou plutôt de manchots de Magellan) est à Punta Tumbo, mais nous choisissons d’aller dans un endroit moins connu, Cabo dos Bahia (près de Camarones). Ici, 25000 couples tout de même viennent se reproduire, élever les petits et reprendre des forces ; il faut dire qu’ils migrent sur des milliers de kilomètres le long de la côte sud-américaine. Les mâles sont arrivés les premiers il y a quelques mois et ont préparé les nids en attendant les femelles, délicate attention.
Mi-novembre, c'est-à-dire à la période actuelle, sortent des œufs les petits. Généralement 2 par nid, ils restent plusieurs semaines au chaud avec un de leurs parents, l’autre faisant des allers-retours pour apporter de petits poissons. Au fond des nids, nous distinguons en effet des œufs, souvent des coquilles vides, et parfois des petits aux plumes foncées cherchant des béquées.
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EL BOLSON – Du 1er au 10 novembre
En provenance de Salta via Buenos Aires, nous atterrissons de manière presque improvisée à Neuquen, et rejoignons de nuit El Bolson, où nous avons un hébergement… que nous avons annulé pensant n’arriver qu’au petit matin : les volcans chiliens Puyehue et Hudson envoient gentiment leurs cendres sur
la Patagonie, nous ne verrons donc ni Bariloche ni Esquel. C’est donc vers 3h10 (eh oui, du mat) que nous nous présentons sans prévenir chez Valeria et Claudio (hospedaje Pehuenia) : café, pizza, boissons… nous n’avons ni faim ni soif, mais n’osons refuser face à un accueil si chaleureux !
Le climat a radicalement changé par rapport à celui que nous connaissions jusqu’au tropique ; la neige fait son apparition autour de 2500m, alors que plus au nord, on n’en voyait qu’au-delà des 5000m. Le relief et la végétation, également, évoquent davantage les Alpes.
Ici les fruits ont déjà pris la place des fleurs dans les cerisiers, la lavande est en fleurs et le soleil se couche de plus en plus tard. Mais comme chez nous, les guirlandes et les sapins en plastique sont déjà dans les magasins.
Comme un peu partout en Argentine, on boit du maté à la pipette (bombilla) dans des pots spécifiques, on mange du « dulce de leche » (confiture de lait), des empanadas, des alfajores (pâtisseries) et des asados (grillades de viande au feu de bois) et en plus une spécialité locale, du yogourt bio vendu en sachets, avec des morceaux de fruits rouges des environs.
L’Argentine est le royaume des grillades, et Claudio ne doit pas être loin d’en être le Roi. C’est aussi la patrie des empanadas, et Valeria, c’est sûr, en est
la Reine.
Vendredi soir, Nico, 10 ans, emmène Sylien à son entraînement de foot. Sylien participe et il est convenu qu’il pourra jouer samedi et dimanche lors des matches du week-end. C’est ainsi que, très officiellement (après présentation du passeport), il sera sur les feuilles de match. Mais attention, ici, même pour les petits, le foot s’apparente à une religion (dont Maradona est le Dieu, et Messi son prophète actuel). L’accueil de l’entraîneur, des petits copains footballeurs et des parents a été à la hauteur de la réputation des argentins. Sylien a très vite fait partie du groupe. A El Bolson, il y a pour 30000 habitants 24 clubs (certifié par un habitant qui avait lui-même des ascendants marseillais). Quelque soit le nombre, les matches sont généralement El Bolson contre El Bolson ; ça a un côté pratique…
La région d’El Bolson est parfaite pour des randonnées de quelques heures ou sur la journée. Une très belle randonnée le long du Rio Azul nous fait traverser des ponts suspendus à la solidité très relative. La pêche est aussi très pratiquée dans les nombreux cours d’eau ; c’est ainsi que nous passerons une demie journée (en partie sous la pluie) à tenter d’attraper du poisson en compagnie de quatre Suédois avec une technique très locale : la pêche à la mouche avec boîtes de conserve d’ananas ! Globalement, la nature et surtout les truites n’ont pas à se plaindre de notre passage discret. Mais désormais nous sommes équipés et nous retenterons notre chance ailleurs en Patagonie.
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SALTA ET LES VALLEES CALCHAQUIES - Du 17 au 31 octobre
Notre collection de tampons s’enrichit grâce au franchissement de la frontière boliviano-argentine. Villazon est le terminus côté bolivien, nous reprenons le bus à
la Quiaca en Argentine. Plus que
5100 km pour rejoindre Ushuaïa.
Nous ferons une étape à Tilcara, joli village dans d’étonnants paysages. Le lendemain, nous rejoindrons Salta.
Petit à petit, les lamas laissent place aux chevaux.
Ici, ça chuinte fort : les « llamas » (lamas) deviennent des « CHamas », le « pollo » (poulet) devient du « poCHo » ; pas facile de toujours bien comprendre, au pays du « Che »…
Nous nous installons à Salta, où nous souhaitons bonne fin de voyage à Livia et Tanguy qui partent pour Iguazu. Mamie Chantal et Papy Daniel nous rejoignent peu de temps après. Nous restons à Salta quelques jours, histoire de s’acclimater, soigner le rhume de Papy et regarder la finale de coupe du monde de rugby.
Les Vallées Calchaquíes
Au sud-ouest de Salta, une route spectaculaire mène en direction de Cachi. Au sommet, le Routard nous décrit « un immense plateau peuplé de troupeaux d’ânes, de vigognes et de vaches (…), vous aurez peut-être la chance de voir voler des condors ». Nous, on était dans les nuages, avec une visibilité de 15m maxi… Mammifères et volatiles ont dû apprécier notre passage discret. Puis en quelques instants lors de la descente, un ciel bleu magnifique est apparu au-dessus du parc national Los Cardones (cactus), que nous traversons par une longue ligne droite,
la Recta Tin Tin (14km). Soirée agréable à Cachi, bourgade paisible.
La suite est une portion de la « routa 40 », qui descend jusqu’en Terre de Feu, et presque totalement en piste jusqu’à Cafayate. Nous traversons Seclantas et Molinos pour dormir le deuxième soir à Angastaco, petite ville-oasis de la vallée.
Nous passerons les 3 nuits suivantes à Cafayate, au cœur d’une région vinicole importante d’Argentine.
La quebrada de Cafayate, en direction de Salta, propose des paysages arides composés de grés aux couleurs chaudes formant des ensembles rocheux spectaculaires. Les strates sédimentaires, creusées et tortueuses, forment tour à tour des canyons, des gorges, ou un amphithéâtre ; les gris, rouges et orange des roches s’ajoutent aux verts et jaunes de la vallée pour de magnifiques tableaux polychromiques.
Nous passons aussi une journée à Quilmes, à environ 60km de Cafayate, peu attirés par la bière du même nom, mais plutôt pour déambuler dans les ruines du village indien, parsemées de magnifiques cactus. Les indiens Quilmes (faisant partie de la grande communauté des indiens Diaguita) sont antérieurs aux Incas auxquels ils résisteront. Mais les conquistadors espagnols finiront par les réduire de 5000 à 2000, avant de transférer les derniers d’entre eux à Buenos Aires. Les descendants demandent une restitution de leur territoire ainsi qu’une reconnaissance de leur identité.
Retour tranquille sur Salta, où nous restons encore quelques jours pour profiter des températures élevées, des empanadas et asados (grillades de viandes).